26 août 2018

L'eau gazeuse hydrate moins que l'eau plate, vraiment ?

L'eau gazeuse hydrate moins que l'eau plate ? En voici une drôle de croyance. Elle existerait même chez des professionnels de santé, m'a-t-on signalé tout en me réclamant une mise au point. Alors, par où commencer ? A composition minérale fixe (celle-ci n'étant pas le sujet), comment du CO2 (le dioxyde de carbone) dissous dans l'eau pourrait perturber in fine l'absorption de l'H2O (l'eau) dans l'intestin grêle (où a lieu la majeure partie de l'absorption de l'eau ingérée) ?

Hydratation, osmolalité (osmolarité) et chyme !


Même en supposant une influence, comment cela pourrait être significatif par rapport au reste du bol alimentaire (volume et composition) qui apporte tout ce qu'il faut pour modifier à grande échelle l'osmolalité du chyme (la "bouillie" gastrique, formée de vos aliments, boissons, salives et sucs gastriques). Car l'osmolalité/osmolarité (approximativement équivalente pour les dilutions qui nous intéressent) est le facteur clé [1] qui fera que l'eau sera plus ou moins bien et rapidement absorbée par diffusion osmotique, selon sa proximité avec celle du plasma sanguin, la partie liquide du sang (en dehors de certaines pathologies, l’osmolalité plasmatique est maintenue physiologiquement dans des limites étroites entre 280 à 300 mOsm/L). Si l'eau de mer ne peut pas vous hydrater, c'est parce qu'elle a une osmolalité 3,3 fois supérieure à celle du plasma sanguin. Si un soluté de réhydratation oral (SRO) est l'idéal pour rétablir un bon état d'hydratation [2] et qu'il est même remboursé par l'assurance maladie dans ce but, c'est parce que son osmolalité est voisine de celle du plasma et que sa composition active en plus les co-transporteurs sodium/glucose, facilitant la diffusion osmotique. A contrario, toutes les eaux plates ou gazeuses ont des osmolalités inférieures à celle du plasma sanguin, même pour les plus minéralisées d'entre elles (l'osmolalité de Vichy Célestins reste deux fois inférieure à celle du plasma). A l’extrême, une eau déminéralisée ou distillée a une osmolalité de 0 car il n'y a que du solvant, aucune osmole de soluté. Ainsi, l'osmolalité de Vichy est plus proche de celle du plasma, donc si l'on ne mange ou ne boit rien d'autre, il serait par exemple préférable de boire de la Vichy que de l'eau pure (mais encore mieux : un SRO) !

Sauf que... la réalité est souvent plus complexe, et si l'on mange un aliment solide et que l'on boit un verre d'eau, l'osmolalité du chyme est alors à redéfinir, comme celle d'une boisson énergétique liquide qui, au lieu d'avoir été bue sous cet état, se formerait ici dans l'estomac (et oui, tout devient plus ou moins liquide !). Dans cette situation, une eau trop minéralisée peut alors ne pas être l'idéal pour obtenir un chyme liquide à l'osmolalité proche de celle du plasma. Lors d'un repas riche (en protéines, glucides, minéraux, etc. qui aboutiront à d'autant plus d'osmoles), l'osmolalité du chyme est en général bien supérieure à celle du plasma. Cela devrait entraîner un "appel osmotique d'eau" du compartiment plasmatique vers le contenu du duodénum de l'intestin grêle (l'eau pouvant traverser librement la paroi intestinal) afin de réduire cette osmolalité, ce qui peut entraîner distension intestinale, réduction du volume plasmatique induisant des troubles circulatoires... Pour éviter ces fâcheuses conséquences, la vidange gastrique est inhibée de façon réflexe dès que l'osmolalité du contenu duodénal commence à augmenter. La digestion prendra alors plus de temps. Et c'est là qu'une eau très hypo-osmolaire peut être la bienvenue !

C'est pour cette raison que parler de l'osmolalité (ou osmolarité) des boissons (et donc leur potentiel d'hydratation) en omettant la question des solides ingérés (ou des autres liquides) n'a pas de sens (par exemple chez le sportif durant une épreuve). Les deux vont de pair dans le raisonnement. L'eau ou la boisson à apporter devra être idéalement différente si l'on ne mange rien, ou si l'on mange quelque chose (et quoi). Enfin, il faut aussi considérer l'aspect qualitatif des osmoles composant la boisson, afin qu'ils (sodium, chlore, potassium, glucose, acides aminés...) apportent dans des proportions adéquates des éléments qui sont éventuellement perdus (transpiration, diarrhée, etc) et sans perturber l'homéostasie. C'est ce que fait parfaitement un SRO par exemple en cas de diarrhée aiguë avec impossibilité de s'alimenter.

Devenir du CO2


Mais reparlons des mythes et réalités des eaux carbonatées [3] : il faut savoir que le CO2 ne reste pas dissous dans l'eau très longtemps au cours de son voyage dans le tractus digestif. Si l'estomac n'est pas vide, il va diffuser rapidement sous forme gazeuse dans la partie supérieure de l'estomac (et déclencher éventuellement le réflexe d'éructation). Et si l'estomac est vide, l'eau carbonatée va rapidement se retrouver dans le duodénum où le CO2 est transformé en bicarbonate via l'anhydrase carbonique. Sachant qu'il y a déjà "naturellement" une production de CO2 dans le duodénum par réaction entre les bicarbonates des sucs pancréatiques et biliaires et les acides (chlorhydrique, etc). CO2 + H2O ↔ H2CO3 ↔  H+ + HCO3 !
Sans parler du CO2 aérien naturellement "ingéré" par aérophagie physiologique : bref, notre tube digestif est bien habitué à être en contact avec ce gaz. Il ne semble pas correspondre à l'image d'un xénobiotique que certains voudraient lui donner. Fermons les bouquins de physiologie pour passer aux travaux scientifiques récents.

Hydratation de l'eau plate vs gazeuse


Surprise : la carbonatation de l'eau est un sujet de recherche qui n'est pas si confidentiel. Jusque là, les questions étaient plutôt de savoir si elle augmente les risques de pathologies digestives (surtout gastro-œsophagiennes), si elle a un impact sur la vidange gastrique ou sur l'érosion dentaire (une eau gazeuse étant légèrement acide à cause d'un peu d'acide carbonique). On retrouve peu de travaux sur le thème de l'hydratation puisque la plausibilité biologique pour une différence entre eau gazeuse et plate n'incitait pas à s'y pencher. Mais une étude récente de 2016 apporte des faits expérimentaux intéressants [4]. Ces chercheurs londoniens ont construit un indice d'hydratation en mesurant dans un contexte contrôlé la diurèse de volontaires à jeun consommant différentes boissons (dont des eaux !). Plusieurs heures après la consommation des boissons, la quantité d'eau retenue dans l'organisme a été calculée pour obtenir des scores (appelés BHI : beverage hydrating index). Ce score (calculé à 2 heures après ingestion) peut se voir critiquer, puisqu'il dépend fortement de la vitesse de vidange gastrique, paramètre qu'il serait souhaitable de contrôler sur une temporalité plus large, surtout pour les boissons hypertoniques comme les boissons très sucrées par exemple. Mais ces limites ne gênent pas à comparer l'eau plate et l'eau gazeuse entre elles. Alors regardons ce qui nous intéresse : les BHI de l'eau plate ("still water") et de l'eau gazeuse ("sparkling water") ne sont pas différents (les deux sont faiblement minéralisées dans cette étude). Pas de surprise. La cinétique d'absorption et d'élimination de ces eaux est la même !





Carbonatation et quantité consommée


Au final, si la question de la carbonatation de l'eau vis à vis de l'hydratation est rapidement fermée, une question ouverte et pertinente à poser serait par exemple de se demander si elle peut avoir une influence sur les quantités d'eau consommées, plus ou moins en lien avec des troubles digestifs. Le statut d'hydratation n'a pas comme seul facteur la biodisponibilité de l'eau, mais aussi avant tout et simplement son apport. Si le gaz perturbe l'apport hydrique sans forcément que l'on en ait conscience, c'est un effet indésirable à considérer. D'après les travaux de recherche, la tendance est de répondre que non, le CO2 ne semble pas associé à des apports volontaires (ad libitum) réduits, même si des critères secondaires invitent à la prudence (tout du moins durant une activité sportive et/ou avec de grosses quantités à jeun) [5,6]. Reste que cela peut avoir des différences inter-individuelles fortes, et qu'il reste à chacun d'expérimenter. Un individu n'est pas une moyenne...

Conclusion (et apparté sur le RGO)


La cinétique d'absorption et d'élimination de ces eaux (plate et gazeuse) est la même ! (à composition minérale comparable)

Bref, l'eau gazeuse ne vous hydratera pas moins que l'eau plate. Si le gaz vous dérange (reflux gastro-œsophagien, ballonnements), il n'est pas forcément la cause à l'origine de votre terrain d'après une revue systématique [7], mais il est dès lors préférable d'éviter les boissons carbonatées [8]. En effet, on sait qu'elles réduisent tout de même la force du sphincter œsophagien inférieur (une sorte de vanne entre œsophage et estomac qui doit être fermée à l'état de "repos"), par rapport à l'eau plate [9]. Enfin, si vous avez vraiment besoin d'être réhydratés (diarrhée infectieuse aiguë, etc) et que vous ne pouvez pas ou très peu vous alimenter, boire de l'eau (carbonatée ou non) à jeun n'est pas l'idéal et pensez alors aux SRO en pharmacie (délivrables avec ou sans prescription). Quant aux besoins spécifiques des sportifs, cela réclamerait un cours de physiologie et nutrition sportive que je ne ferai pas ici au risque d'ouvrir 10 paragraphes supplémentaires !

Références


[1] Sadowska, B., Swiderski, F., Rakowska, R., Waszkiewicz-Robak, B., Zebrowska-Krasuska, M., & Dybkowska, E. (2017). Beverage osmolality as a marker for maintaining appropriate body hydration. Roczniki Państwowego Zakładu Higieny, 68(2).

[2] Mouterde, O. (2007). Solutions de réhydratation orale et diarrhée aiguë: état des lieux. Archives de pédiatrie, 14, S165-S168.

[3] Cuomo, R., Sarnelli, G., Savarese, M. F., & Buyckx, M. (2009). Carbonated beverages and gastrointestinal system: between myth and reality. Nutrition, Metabolism and Cardiovascular Diseases, 19(10), 683-689.

[4] Maughan, R. J., Watson, P., Cordery, P. A., Walsh, N. P., Oliver, S. J., Dolci, A., ... & Galloway, S. D. (2015). A randomized trial to assess the potential of different beverages to affect hydration status: development of a beverage hydration index. The American journal of clinical nutrition, 103(3), 717-723.

[5] Hickey, M. S., Costill, D. L., & Trappe, S. W. (1994). Drinking behavior and exercise-thermal stress: role of drink carbonation. International journal of sport nutrition, 4(1), 8-21.

[6] Lambert, G. P., Bleiler, T. L., Chang, R. T., Johnson, A. K., & Gisolfi, C. V. (1993). Effects of carbonated and noncarbonated beverages at specific intervals during treadmill running in the heat. International journal of sport nutrition, 3(2), 177-193.

[7] Johnson, T., Gerson, L., Hershcovici, T., Stave, C., & Fass, R. (2010). Systematic review: the effects of carbonated beverages on gastro‐oesophageal reflux disease. Alimentary pharmacology & therapeutics, 31(6), 607-614.

[8] Kubo, A., Block, G., Quesenberry, C. P., Buffler, P., & Corley, D. A. (2014). Dietary guideline adherence for gastroesophageal reflux disease. BMC gastroenterology, 14(1), 144.

[9] Hamoui, N., Lord, R. V., Hagen, J. A., Theisen, J., DeMeester, T. R., & Crookes, P. F. (2006). Response of the lower esophageal sphincter to gastric distention by carbonated beverages. Journal of gastrointestinal surgery, 10(6), 870-877.

Et un bon bouquin de physiologie humaine :
Marieb, E. N., Lachaîne, R., Hoehn, K. & Moussakova, L. Anatomie et physiologie humaines. (ERPI - Le Renouveau Pédagogique Editions, 2010).

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