25 mars 2019

Feu rouge pour de nombreuses allégations des jus verts

La cure de jus végétal (cru, s’il vous plaît) offrirait tout un tas de bienfaits ! Plus de tonus, de la détox et de la régénération, mais aussi de la perte de poids et des effets anti-âge et anti-cancer. Du moins, quand on lit de l'information poubelle écrite par des personnes qui pensent connaître le fonctionnement du corps humain depuis qu'ils ont lu l'étiquette d'une eau de bouleau, ou qui s'en moquent tout simplement...
Alors quand un essai clinique randomisé contrôlé sort sur le sujet, on y jette un œil, puisque ça dépasse le niveau de preuve de la plupart de ce qui préexistait.
En voici un conduit par des chercheurs brésiliens sans conflit d'intérêt sur le sujet [1]. Après les déceptions des essais de supplémentation en "micronutriments" plus ou moins anti-oxydants, est-ce qu'une mixture de ces mêmes composés dans un jus en sortie d'extracteur va changer la donne ? Résumé en image :


Les études a ses limites (taille d'échantillon, durée d'intervention, choix des critères de jugement), mais pour autant, sa méthodologie se transpose à une certaine réalité, où nombre de personnes se lancent avec une discipline aussi rigide que fugace dans des cures courtes pour purger l'organisme de ses démons.

Mais les critiques, qui ont au moins le mérite d'illustrer l'effet Dunning-Kruger* (malgré que nous ne manquions pas d'illustrations...), ne se font pas attendre sur les réseaux :

▶️ Il aurait fallu choisir des participants malades. Mais est-ce une grossière erreur de la part des chercheurs sachant que :
1) dans un contexte de vie réelle, beaucoup des pratiquants des jus végétaux n’ont pas de pathologies diagnostiquées, et le discours marketing ou quasi-religieux insiste sur la prévention. Ces jus sont généralement allégués d'une réduction du stress oxydatif chez tout un chacun (et d'où en découlent d'autres allégations anti-âge, anti-cancer, pro-performance...) : les nombreux marqueurs mesurés montrent qu'il n'en est rien.
2) En lisant l’introduction, on voit que cette étude se place dans le prolongement des essais de supplémentation en antioxydants, en passant du test d’un supplément à un jus contenant des composés similaires. Sauf que quand on a donné des antioxydants à des gens malades ou à haut risque (comme les fumeurs), on a eu des essais comme ATBC et CARET stoppés prématurément car la supplémentation augmentait leur risque de morbidité/mortalité. On peut comprendre une certaine prudence.
▶️ Comme évoqué plus haut, il aurait fallu suivre les participants sur une plus longue durée : mais en « vie réelle », en tout cas dans le profil des patients que mes collègues et moi voyons, on est très souvent sur des cures courtes, intermittentes ou non. 60 jours, soit 9 semaines, c’est déjà pas mal.
▶️ D’autres soulignent un mauvais choix des végétaux pas assez bioactifs à leurs yeux. La quête du super-aliment en super-jus n’aura jamais de fin ! Il y a quand même deux choux crus différents... mais pas de kale, c'est vrai 😅
Ou ils soulignent le mauvais choix des paramètres mesurés (quand une étude conclut négativement, c'est que l'on n'a jamais choisi les bons !). Le design a ses limites comme toute étude, même celles qui peuvent suivre morbidité et mortalité.
▶️ Des pro-jeûnes auraient voulu deux groupes comparatifs : un groupe jus en jeûnant, et un groupe alimentation normale. Ceux-ci n’ont manifestement rien compris au principe du groupe contrôle qui doit isoler seulement une variable (là on en aurait deux confondants : le jus et le jeûne). Mais le jour où la démarche scientifique sera comprise par tous (et qu'il n'y en a bien qu'une), les poules boiront du jus vert !
▶️ (Personne ne l’a encore dit mais...) : la présence de gélatine dans le placebo aurait pu être un biais (étant une source de glycine aux bénéfices potentiels). Mais les données de l’étude montrent que même au sein d’un groupe donné (jus ou placebo), il n’y a pas d’évolution notable sur les paramètres suivis au cours du temps.
▶️ Des supporters des jus cuits (versus crus) auraient voulu un groupe "jus pasteurisé", la cuisson aurait pu améliorer l'absorption de certains nutriments. On les laisse s'entretuer avec les crudivores.

Pour information, les auteurs rapportent l’absence de différence dans la prise alimentaire totale entre les deux groupes (en terme de glucides, lipides, protéines et fibres). Nous n’en savons pas plus.

En conclusion, et quelque soit vos croyances et ce que vous buvez : dans tous les cas, mangez (avec vos dents) des légumes, des crus et des cuits ! Ne soyez pas dupes mais sceptiques quand des allégations extraordinaires ne sont pas supportées par des preuves extraordinaires.

* un biais cognitif selon lequel les moins qualifiés dans un domaine surestiment leur compétence (wikipedia)

Référence


[1] Chiochetta, M., Ferreira, E. J., Moreira, I. T. D. S., Avila, R. C. S. D., Oliveira, A. A. D., Busnello, F. M., ... & Barschak, A. G. (2018). Green Juice in Human Metabolism: A Randomized Trial. Journal of the American College of Nutrition, 37(8), 670-676.

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