La question des véritables besoins nutritionnels, précis et pour un individu donné, sera une quête sans fin. N'espérez pas trouver toutes vos réponses dans les mathématiques des tableaux nutritionnels de vos aliments et des ANC. Pardon, des RNP ! Saviez-vous que la notion d'ANC est aujourd'hui désuète ? Les fameux Apports Nutritionnels Conseillés ont laissé place aux RNP* : les Références Nutritionnelles pour la Population. Par définition, ce sont les apports quotidiens qui couvrent le besoin de 97.5% de la population considérée (par exemple : les femmes adultes 18-64 ans), tel qu'estimé à partir des données expérimentales.
Pourquoi pas 100% ? Cela signifie-t-il que 2.5% de la population considérée aient des besoins différents ? Ou plutôt que ces 2.5% ont besoin d'apports différents ? Attention à la sémantique !
Historiquement, des situations de grande différence d'absorption de certains nutriments ont déjà été identifiées au cours du XXème siècle. Prenons le cas du fer, où des mutations du gène codant pour l'hepcidine, un peptide régulateur de l'absorption du fer, peut conduire à une maladie appelée hémochromatose primitive. C'est la maladie génétique la plus fréquente en Occident (environ 1 personne sur 300 en France, Inserm), où l'absorption du fer est tellement augmentée au niveau de l'intestin grêle qu'elle entraîne une surcharge toxique en fer. Mais au delà de ce type de mutations génétiques touchant moins d'1% de la population, avec des différences radicales d'assimilation aux conséquences pathologiques révélatrices (bien que pas assez étant donné le sous-diagnostic de l'hémochromatose) : une bien plus fréquente et sournoise variabilité toucherait beaucoup plus de composés alimentaires.
Prenons le cas de la vitamine D (cholécalciférol, la D3) : une étude clinique française [1] chez 39 volontaires sains montre que son absorption peut varier d'un facteur 34 selon les individus ! Et cette dispersion n'est pas reliée à des statuts initiaux différents (donc à une éventuelle régulation des mécanismes d'absorption). Un des graphiques tiré de cette étude montre l'évolution sur 8 heures des concentrations en D3 des chylomicrons après un apport de 200k UI. Les chylomicrons sont des lipoprotéines qui se forment en période de digestion et qui transportent les lipides et composés liposolubles comme la vitamine D, des intestins au foie. La courbe au ras des pâquerettes est la réponse du plus mauvais absorbeur, et la courbe qui culmine celle du meilleur absorbeur (au milieu la moyenne).
Absorption : nous ne sommes pas tous égaux !
Et bien ce sont probablement les deux : les besoins en micronutriments (vitamines, minéraux, phytomicronutriments) mais aussi la capacité à les assimiler diffèrent d'un individu à un autre. On ne connaît pas tous les facteurs responsables, mais une forte variabilité interindividuelle concerne déjà simplement la capacité à absorber. Ce qui correspond au début de la cinétique de tout élément consommé.Historiquement, des situations de grande différence d'absorption de certains nutriments ont déjà été identifiées au cours du XXème siècle. Prenons le cas du fer, où des mutations du gène codant pour l'hepcidine, un peptide régulateur de l'absorption du fer, peut conduire à une maladie appelée hémochromatose primitive. C'est la maladie génétique la plus fréquente en Occident (environ 1 personne sur 300 en France, Inserm), où l'absorption du fer est tellement augmentée au niveau de l'intestin grêle qu'elle entraîne une surcharge toxique en fer. Mais au delà de ce type de mutations génétiques touchant moins d'1% de la population, avec des différences radicales d'assimilation aux conséquences pathologiques révélatrices (bien que pas assez étant donné le sous-diagnostic de l'hémochromatose) : une bien plus fréquente et sournoise variabilité toucherait beaucoup plus de composés alimentaires.
Prenons le cas de la vitamine D (cholécalciférol, la D3) : une étude clinique française [1] chez 39 volontaires sains montre que son absorption peut varier d'un facteur 34 selon les individus ! Et cette dispersion n'est pas reliée à des statuts initiaux différents (donc à une éventuelle régulation des mécanismes d'absorption). Un des graphiques tiré de cette étude montre l'évolution sur 8 heures des concentrations en D3 des chylomicrons après un apport de 200k UI. Les chylomicrons sont des lipoprotéines qui se forment en période de digestion et qui transportent les lipides et composés liposolubles comme la vitamine D, des intestins au foie. La courbe au ras des pâquerettes est la réponse du plus mauvais absorbeur, et la courbe qui culmine celle du meilleur absorbeur (au milieu la moyenne).
Si vous trouvez ça spectaculaire, sachez que la vitamine D n'est pas un cas particulier. La même équipe de chercheurs avait abouti à un résultat similaire un peu plus tôt pour le bêta-carotène, la plus emblématique des pro-vitamines A (figure ci-dessous). C'est à l'Hôpital de la Conception à Marseille que 33 volontaires ont été nourris avec un repas identique et riche en beta-carotène (comprenant une purée de tomate standardisée à 0.4 mg de beta-carotene au 100 g). C'est à nouveau les taux de beta-carotène des chylomicrons post-prandiaux qui ont été mesurés puisque c'est un composé liposoluble. Le coefficient de variation (CV, qui est le rapport de l'écart-type sur la moyenne) de la "réponse" en terme de concentration en beta-carotène est de 105% (alors qu'il était de 45% pour la vitamine D). Autrement dit, c'est encore pire : il y a une encore plus forte hétérogénéité d'absorption du beta-carotène...
Pourquoi cette hétérogénéité ? Ces essais cliniques étaient très contrôlés : période de wash-out, taux initiaux similaires, vitesse de prise des repas identique, reste des prises alimentaires hyper-encadré, etc. Si ces facteurs extrinsèques à l'individu étaient écartés, d'autres facteurs bien plus internes se sont avérés associés à ces variations : de petites variations du génome, qu'on appelle SNP pour single-nucleotide polymorphism. Un SNP est la variation d'une seule paire de bases entre individus d'une même espèce : on ne peut pas faire plus minimaliste ! On ne les qualifie pas de mutation car la fréquence des SNPs est élevée (un SNP touche plus d'1% de la population) : ce sont des polymorphismes sans version "standard". Il est maintenant démontré que les SNPs expliquent une part importante de notre variabilité génétique (qui est de 0,1% environ entre deux individus ! [3]), surtout lorsqu'ils touchent en combinaison plusieurs gènes impliqués dans un même processus comme celui de l'assimilation des micronutriments. Par exemple, après analyses des données génétiques et statistiques, on voit que la variabilité interindividuelle de la biodisponibilité de la vitamine D est modulée, au moins en partie, par une combinaison de 17 SNPs dans 13 gènes, celle du beta-carotène par 25 SNPs dans 12 gènes, celle de la vitamine E par 28 SNPs dans 11 gènes, etc.
Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez aller plus loin, sachez que vient d'être publiée dans la revue Annual Review of Nutrition une revue de la littérature sur la nutrigénétique de la biodisponibilité des vitamines lipo-solubles et des phytochemicals comme les caroténoïdes [5]. Publiée par nos chercheurs, cocorico ! Cliquez-ici pour y accéder. Cette variabilité de biodisponibilité intéresse d'autant plus les chercheurs qu'elle peut mettre à mal certains essais cliniques de supplémentation où les posologies utilisées sont fixes.
Pourquoi cette hétérogénéité ? Ces essais cliniques étaient très contrôlés : période de wash-out, taux initiaux similaires, vitesse de prise des repas identique, reste des prises alimentaires hyper-encadré, etc. Si ces facteurs extrinsèques à l'individu étaient écartés, d'autres facteurs bien plus internes se sont avérés associés à ces variations : de petites variations du génome, qu'on appelle SNP pour single-nucleotide polymorphism. Un SNP est la variation d'une seule paire de bases entre individus d'une même espèce : on ne peut pas faire plus minimaliste ! On ne les qualifie pas de mutation car la fréquence des SNPs est élevée (un SNP touche plus d'1% de la population) : ce sont des polymorphismes sans version "standard". Il est maintenant démontré que les SNPs expliquent une part importante de notre variabilité génétique (qui est de 0,1% environ entre deux individus ! [3]), surtout lorsqu'ils touchent en combinaison plusieurs gènes impliqués dans un même processus comme celui de l'assimilation des micronutriments. Par exemple, après analyses des données génétiques et statistiques, on voit que la variabilité interindividuelle de la biodisponibilité de la vitamine D est modulée, au moins en partie, par une combinaison de 17 SNPs dans 13 gènes, celle du beta-carotène par 25 SNPs dans 12 gènes, celle de la vitamine E par 28 SNPs dans 11 gènes, etc.
Est-ce que faible absorption signifie faible taux sanguin à plus long terme ?
L'essai clinique sur le beta-carotène apporte une réponse : oui, les taux plasmatiques en beta-carotène à distance et à jeun sont bien corrélés positivement à son niveau d'absorption post-prandiale (mesurée via les chylomicrons, je rappelle). Il est probable qu'il en soit de même pour les concentrations tissulaires (dans les organes). Cette réponse qui peut paraître logique est pourtant contredite dans l'essai sur la vitamine D, plus rassurant. Celui-ci n'a pas montré de lien statistiquement significatif entre le fait d'être un mauvais répondeur d'absorption et le fait d'avoir un statut sanguin en vitamine D plus bas. Bon, seulement 39 personnes ont participé et ce lien pourrait apparaître sur un plus gros échantillon (ne pas l'identifier avec une méthodologie ne signifie pas qu'il n'existe pas !). Mais cela suggère qu'il y a d'autres facteurs et mécanismes en jeu dans cette homéostasie nutritionnelle que la seule biodisponibilité (absorption), comme la vitesse de dégradation, la régulation des formes liées ou libres, la conversion des formes actives à partir des précurseurs, etc. A suivre, mais, me dites-vous : pas de quoi être excessivement inquiet si jamais nous étions un mauvais absorbeur ? Et bien peut-être pas plus que si vous étiez bon absorbeur ! Car ils ont aussi de quoi être dans le doute : tous ces autres facteurs, du "devenir" du nutriment dans l'organisme jusqu'à son "action" dans l'organisme, sont également sujets à variation par ces omniprésents SNPs. C'est inévitable et c'est le cas par exemple de la conversion du beta-carotène en rétinol (donc d'une pro-vitamine A à une vitamine A active) [4]. Dans cet article, l'absorption n'est que la partie émergée de l'iceberg !Si le sujet vous intéresse et que vous souhaitez aller plus loin, sachez que vient d'être publiée dans la revue Annual Review of Nutrition une revue de la littérature sur la nutrigénétique de la biodisponibilité des vitamines lipo-solubles et des phytochemicals comme les caroténoïdes [5]. Publiée par nos chercheurs, cocorico ! Cliquez-ici pour y accéder. Cette variabilité de biodisponibilité intéresse d'autant plus les chercheurs qu'elle peut mettre à mal certains essais cliniques de supplémentation où les posologies utilisées sont fixes.
Sainte Loi Normale
Ces notions de nutrigénétique invitent à relativiser les calculs à l'unité près que certains (individus, industriels, logiciels...) se donnent la peine de faire. La concordance précise et universelle entre nos besoins et nos apports nutritionnels n'est qu'une illusion de pensée !
En attendant l'avènement proche ou non de la nutrition personnalisée par votre génotype, espérez que la loi Normale soit de votre côté, du côté des 97.5% ! Ces notions de nutrigénétique invitent à l'humilité quand on doit raisonner aujourd'hui à l'échelle d'un seul individu. Elles invitent à relativiser les calculs à l'unité près que certains se donnent la peine de faire. A relativiser les précisions utopiques du type "Une portion de 40 g de ce produit apporte 7,5% de vos RNP en vitamine machin-chose". La concordance précise et universelle entre nos besoins et nos apports nutritionnels n'est qu'une illusion de pensée ! C'est un problème partagé en pharmacologie, et l'enjeu est ici encore plus délicat. Les caractéristiques génétiques des individus devront bien, un jour ou l'autre, être prises en compte pour éviter que ce soit le hasard qui fasse (la plupart du temps, bien) les choses. La Loi normale, un des piliers de la statistique, vit probablement ses derniers moments d'autorité avant d'être réprouvé par un monde de plus en plus individualiste... ou personnalisé ?!
C'est toujours un plaisir d'apporter des données qui ne plairont pas à un mode de pensée séduit par la linéarité et la causalité immédiate, mais pas par la complexité des processus multidimensionnels ! Vous êtes bien sur Nutrition vs Placebo ! 😎
*et aussi, pour les curieux, à d'autres types de références nutritionnelles (AS, IR). Voir ici pour aller plus loin.
[1] Desmarchelier, Charles, et al. "A Combination of Single-Nucleotide Polymorphisms Is Associated with Interindividual Variability in Cholecalciferol Bioavailability in Healthy Men–4." The Journal of nutrition 146.12 (2016): 2421-2428.
[2] Borel, Patrick, et al. "A Combination of Single-Nucleotide Polymorphisms Is Associated with Interindividual Variability in Dietary β-Carotene Bioavailability in Healthy Men–3." The Journal of nutrition 145.8 (2015): 1740-1747.
[3] Rosenberg, Noah A., et al. "Genetic structure of human populations." science 298.5602 (2002): 2381-2385.
[4] Leung, W. C., et al. "Two common single nucleotide polymorphisms in the gene encoding β-carotene 15, 15′-monoxygenase alter β-carotene metabolism in female volunteers." The FASEB Journal 23.4 (2009): 1041-1053.
[5] Borel, Patrick, and Charles Desmarchelier. "Bioavailability of Fat-Soluble Vitamins and Phytochemicals in Humans: Effects of Genetic Variation." Annual review of nutrition 38 (2018): 69-96.
Références
[1] Desmarchelier, Charles, et al. "A Combination of Single-Nucleotide Polymorphisms Is Associated with Interindividual Variability in Cholecalciferol Bioavailability in Healthy Men–4." The Journal of nutrition 146.12 (2016): 2421-2428.
[2] Borel, Patrick, et al. "A Combination of Single-Nucleotide Polymorphisms Is Associated with Interindividual Variability in Dietary β-Carotene Bioavailability in Healthy Men–3." The Journal of nutrition 145.8 (2015): 1740-1747.
[3] Rosenberg, Noah A., et al. "Genetic structure of human populations." science 298.5602 (2002): 2381-2385.
[4] Leung, W. C., et al. "Two common single nucleotide polymorphisms in the gene encoding β-carotene 15, 15′-monoxygenase alter β-carotene metabolism in female volunteers." The FASEB Journal 23.4 (2009): 1041-1053.
[5] Borel, Patrick, and Charles Desmarchelier. "Bioavailability of Fat-Soluble Vitamins and Phytochemicals in Humans: Effects of Genetic Variation." Annual review of nutrition 38 (2018): 69-96.
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