La consommation à grande échelle des jus d'orange a réellement débuté à l'après-guerre, vers 1948. Juste avant, les soldats US n'appréciant que guère les sachets de cristaux de citron riches en vitamine C pour prévenir le scorbut, cela a motivé la mise au point d'une autre source de vitamine C, celle du concentré de jus d'orange qui permettait de transporter, conserver, et reconstituer facilement une boisson en zone de guerre et sans trop de modification gustative (contrairement aux tentatives d'appertisation de jus d'agrumes des années 1920).
La fin de la guerre n'a pas mis fin à cette filière née en Floride, qui a rapidement connu un essor spectaculaire. Je vous invite à lire cet article d'Adee Brain paru dans The Atlantic qui retrace comment cette industrie a réussi à convaincre la population que le jus d'orange était essentiel pour une bonne nutrition. Alors même que l'alimentation (et ses contraintes de transport/conservation) des pays "riches" d'après-guerre n'avait rien de comparable avec celle des soldats en zone de conflit des siècles passés : la vitamine C se retrouvant facilement dans une alimentation incluant quelques fruits et légumes sans avoir à réduire leur jus en poudre pour le transporter, et à boire un liquide reconstitué sucré... La prévention du scorbut n'étant plus un argument entendable, il a fallu recycler et élargir l'argument santé par diverses ficelles marketing. Après un âge d'or durant la seconde moitié du XXème siècle, la filière du jus d'orange connaît des temps plus difficiles depuis les années 2000, avec une chute continue de la consommation : des consommateurs plus informés (qu'un jus de fruit s'apparente à une boisson sucrée), mais aussi la concurrence de jus d'autres fruits plus attrayants comme les pseudo-super-fruits, ce qui n'est qu'un transfert de problème !...
Mieux vaudrait consommer les agrumes le soir
La problématique plutôt méconnue des psoralènes alimentaires ne concerne pas que les agrumes comme l'orange ou le pamplemousse : on retrouve aussi des psoralènes dans les figues et dans la famille des ombellifères comme persil, panais, céleri, carotte, etc. [1] Mais en population générale, les agrumes représentent la première source de psoralènes, ce qui donne une meilleure puissance statistique aux études pour retrouver des associations. A côté de ce sur-risque de mélanome associé à la consommation d'agrumes [2], on retrouve aussi un sur-risque d'autres cancers cutanés (carcinome baso-cellulaire et carcinome spino-cellulaire) [3]. Le cancer n'est pas la seule préoccupation, la photosensibilisation aux UV et ses complications de type troubles de la pigmentation sont aussi des conséquences parfois fâcheuses pour la qualité de vie. De part leur nature observationnelle, ces études ont des limites mais la plausibilité d'une causalité est appuyée par les connaissances pharmacologiques bien fournies des psoralènes et par des études contrôlées qui ont pu isolé ce facteur unique dans le cadre de traitements à base de psoralène [4]. Des traitements aux posologies pas si éloignées d'une forte consommation alimentaire (cf encart).
Je suis de près la recherche à ce sujet et nous reparlerons des psoralènes alimentaires. Gardez en tête que leur demi-vie est relativement courte (30 min à quelques heures), c'est pourquoi une consommation en fin de journée permettrait de contourner ce risque (s'il est confirmé, car il existe des données contradictoires bien que moins probantes [5]) : le lendemain matin, avant toute exposition aux UV, la majeure partie des psoralènes consommés la veille aura été éliminé durant la nuit [6]. Un horaire de précaution, et, c'est cocasse, diamétralement opposé à celui des propagandes publicitaires des fabricants de jus.
Références
[1] Melough, M. M., Cho, E., & Chun, O. K. (2018). Furocoumarins: A review of biochemical activities, dietary sources and intake, and potential health risks. Food and Chemical Toxicology, 113, 99-107.
[2] Wu, S., Han, J., Feskanich, D., Cho, E., Stampfer, M. J., Willett, W. C., & Qureshi, A. A. (2015). Citrus consumption and risk of cutaneous malignant melanoma. Journal of Clinical Oncology, 33(23), 2500.
[3] Wu, S., Cho, E., Feskanich, D., Li, W. Q., Sun, Q., Han, J., & Qureshi, A. A. (2015). Citrus consumption and risk of basal cell carcinoma and squamous cell carcinoma of the skin. Carcinogenesis, 36(10), 1162-1168.
[4] Stern, R. S., Nichols, K. T., & Väkevä, L. H. (1997). Malignant melanoma in patients treated for psoriasis with methoxsalen (psoralen) and ultraviolet A radiation (PUVA). New England Journal of Medicine, 336(15), 1041-1045.
[5] Fortes, C., Mastroeni, S., Melchi, F., Pilla, M. A., Antonelli, G., Camaioni, D., ... & Pasquini, P. (2008). A protective effect of the Mediterranean diet for cutaneous melanoma. International journal of epidemiology, 37(5), 1018-1029.
[6] Bosshardt, O. P., & Grichnik, J. M. (2016). Citrus and melanoma risk: better to consume with dinner?. Dermatologic therapy, 29(3), 211-211.
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